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CV : quelle histoire les étudiants racontent-ils d'eux-mêmes ?

CV : quelle histoire les étudiants racontent-ils d'eux-mêmes ?

Auto-évaluation quantitative des compétences. Survalorisation des expériences au détriment des loisirs et autres activités "passion"... Juliette Charbonneaux, enseignante-chercheuse et directrice adjointe en charge des études au CELSA*, s’interroge sur la standardisation des CV qu’elle reçoit lors des jurys d’admission. Un constat qui l'amène à se questionner sur la manière dont les étudiants perçoivent les attentes des établissements comme des entreprises. Elle nous livre son analyse.

Le CELSA prône la diversité des profils qu’elle recrute. Pourtant, vous constatez une réelle homogénéisation des CV que vous recevez. Comment analysez-vous cela ? 

C’est effectivement un constat que nous menons chaque année lors des oraux d’admission pour intégrer l’Ecole: depuis une dizaine d’années, les CV se ressemblent beaucoup. Sur la forme mais également sur le fond. C’est assez édifiant de voir que nos étudiants focalisent sur leurs expériences professionnelles et quantifient leur vie. Les loisirs et autres activités extra-professionnelles sont souvent totalement délaissés pour privilégier une approche par compétences, notée avec des étoiles ou des gradations. 

Qu’est-ce que cela vient dire de leur manière de « se raconter » face à des professionnels ? 
J’imagine qu’ils projettent dans le contenu de leur CV ce qu’ils imaginent être nos attentes. De l’expérience pro avant tout, au détriment de toute autre forme d’engagement ou d’expression d’eux-mêmes. Quand je leur demande au cours de l’entretien ce qu’ils aiment faire en-dehors du travail, ils sont presque étonnés de la question. Pourtant les loisirs, les centres d’intérêt sont une belle manière de découvrir leur personnalité, ce qui les motive et attise leur curiosité. Bien plus qu’une auto-évaluation quantitative de leurs compétences ! 

Est-ce que cela se rejoue une fois qu’ils sont en formation ? 
Une fois qu’ils sont intégrés à l’Ecole, ils restent angoissés par leur avenir professionnel. Notre sélectivité, notre réputation acquise de longue date et nos taux d’insertion ne suffisent pas toujours à les rassurer. Ils ont l’impression que seules les expériences professionnelles vont leur permettre de faire la différence. Rien d’autre ne peut être plus qualifiant à leurs yeux.

Dans ce contexte, comment parvenez-vous à donner du sens à vos formations ? 
Depuis toujours, nous cherchons à maintenir un équilibre entre les apports académiques, indispensables pour comprendre les enjeux sociaux, économiques et politiques inhérents aux métiers auxquels ils se destinent, et les apports du monde professionnel. L’intérêt de faire des études aujourd’hui c’est de savoir tirer parti de ces deux dimensions pour pouvoir appréhender les transformations du monde en général et du monde professionnel en particulier. Tout au long de leur parcours, nous travaillons avec eux leur professionnalisation et la découverte de ce que veut dire travailler : certains s’épuisent dès leurs stages. Nous les ramenons à leur statut d’étudiant et donc à la notion d’être en apprentissage. Nous tenons bon pour ne rien lâcher sur ces deux périmètres. 

De quelle manière cela se traduit-il dans vos cursus de formation ? 
L’intergénérationnel fonctionne très bien : les parcours, les expériences vécues, les témoignages, c’est ce qui parle le mieux aux étudiants. Nous faisons un important travail de valorisation de nos diplômés et faisons intervenir des alumni sur des cas pratiques ou dans certains cours. Nous avons également la chance d’avoir un service Carrières et Relations Entreprises qui prépare nos étudiants aux entretiens d’embauche et à améliorer leur CV. C’est l’occasion de regarder avec eux comment ils peuvent mettre en avant d’autres compétences acquises à travers leur mémoire ou leurs expériences associatives par exemple. 

L’IA est à la fois un sujet d’angoisse et de questionnement par rapport au sens même de se former, voire de travailler. Comment abordez-vous cette question au sein de votre institution ? 
Nous ne cherchons pas à lutter contre ni à faire de l’IA un sujet tabou. Au contraire, l’utiliser intelligemment pour que chacun puisse en tirer parti nous semble important. Si l’IA peut aider un étudiant à faire un plan cohérent, elle ne peut en revanche pas l’aider à développer sa pensée critique. Rien ne peut remplacer les échanges, les débats et le dialogue pour aider nos étudiants à construire leur avis, développer leur imagination et la prise de recul. C’est là que se situe notre réelle plus-value. Notre offre pédagogique a bien sûr évolué avec le développement de l’IA : nous sommes partis des questions liées à la transition environnementale et l’économie du numérique dans son ensemble pour aujourd’hui ouvrir sur les applications, usages et impacts de l’IA dans nos métiers et enfin amener les étudiants à formuler des retours critiques. Nous serons toujours dépassés sur le terrain purement technique. En revanche on continue à capitaliser sur ce qu’on sait faire : l’éducation aux usages et mésusages de ces outils devenus médias, à la vérification des sources et à la notion même d’information. 
 

* Partenaire de longue date de l’ARCES, le CELSA forme depuis près de 70 ans les professionnels des métiers de la communication, des médias, du journalisme comme des ressources humaines.

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